Chokebore, mais bien au bord !

Edito-perso / Je sais, pour un 1er numéro, j'aurais pu éviter de choisir un groupe étranger, américain de surcroit. Mais quoi, premièrement, je suis libre (profitons-en, la liberté n'a pas l'air d'être trop à la mode, ces temps-ci...), deuxièmement, tous les reportages suivants seront consacrés à la très importante (par le nombre et la qualité) scène française. Alors, elle est pas belle, la vie ?

L'histoire commence en 93. Après avoir été repéré par le big chief du label « Amphetamine Reptile », Chokebore (from Hawaï) sort un 1er album 'Motionless' plein de petits chefs-d'oeuvres de 2 minutes à peine, où l'on découvre à la fois leur manière spéciale de composer, qui oscille entre explosion punk et moments d'accalmie, et surtout la superbe voix de son chanteur Troy. 'Anything Near Water' arrive en 95 et confirme tout le bien qu'on pensait de ce quatuor hors du commun : le tempo ralentit, les morceaux sont moins directs, plus insidieux mais toujours gorgés d'émotion. Le dernier album en date ('A Taste for Bitters'/96) enfonce le clou avec ses chansons aussi puissantes qu'imparables et se charge d'une tristesse persistante... qui rend ce disque irremplaçable.
Mais c'est sur scène qu'il explose réellement le plus, le groupe entier livrant une bataille qui semble toujours être la dernière... et la plus belle. Justement, c'est avant un concert flamboyant que j'ai pu recueillir quelques mots de Troy, chanteur charismatique (le mot est faible !) et de Jon, guitariste (au regard halluciné).

- Pourquoi y-a-t-il autant de tristesse, de mélancolie dans votre musique ? Est-ce que vous la recherchez ?

Troy - Non, on ne la recherche pas, ça vient juste quand on joue. C'est ce qui sonne le mieux à nos oreilles. Ça vient naturellement.

- D'où vient alors cette tristesse, comment pouvez-vous l'expliquer ?

Jon - En fait, beaucoup de gens sont tristes. La musique permet d'extérioriser cette tristesse, de ne pas la renfermer.

Troy - C'est une émotion que nous ressentons tous, et c'est une émotion forte qui peut être belle. En général, si j'entends une chanson triste sur un album, c'est ma préférée de l'album.
C'est possible qu'on la ressente plus que d'autres, mais je ne sais pas pourquoi.

- Avez-vous des idoles ou des maîtres en musique ?

Troy - Non, je ne pense pas. Il se trouve qu'on apprécie différentes personnes pour différentes choses. On aime Otis Redding mais ce n'est pas notre idole.

Jon - On peut apprendre en écoutant Otis Redding mais on peut apprendre aussi des choses de sources différentes, et je pense que c'est ce que nous faisons.

Troy - Mais nous n'avons pas d'idoles ... mmh ... Superman ... mmh ... Spiderman ... (rires). Tu sais, on écoute beaucoup de musique, on prend à droite, à gauche mais de toute façon, quand on va en studio, ce qu'on joue sonne Chokebore, pas ce qu'on a écouté ce jour-là.

- As-tu jamais appris à chanter ?

Troy - Eh bien, j'ai appris tout seul. Quand j'ai commencé avec mon premier groupe, je ne savais pas chanter mais je m'entraînais beaucoup. Quand je livrais des pizzas, je mettais des cassettes de David Bowie dans la voiture en essayant de chanter (il se met à chantonner « Ziggy Stardust ») et j'ai continué de m'entraîner, d'essayer pendant des années et j'y suis arrivé.

- La scène semble très importante pour vous.

Troy - Enregistrer est super, écrire des chansons est super, jouer sur scène est vraiment bien, parce qu'il y a tant d'énergie, parce que tu as la chance de jouer ta musique pour le public. Chaque concert est différent, mais en général, chaque concert est très bien.
Parfois, quand tu joues, tu peux atteindre un état en toi, où tout sonne parfaitement, où ton esprit se libère, se relâche complètement. C'est la sensation la plus agréable au monde. Le plus on peut atteindre cet état dans sa tête, le mieux c'est.

- Et ça vous arrive aussi en studio ?

Troy - Oui, mais c'est différent. On n'a pas toute cette énergie, c'est beaucoup plus concentré. Ecrire, écrire une chanson, ça c'est un grand moment ! C'est l'une des meilleures sensations au monde ; parce que tu crées, tu fais quelque chose de neuf qui n'a jamais été joué, jamais été écouté. C'est super !

- Vous êtes vous sentis à l'aise à l'enregistrement au studio Black Box [près d'Angers] ?

Jon - Oui, beaucoup. Peter [Deimel, ingénieur son du studio, NDA] nous a aidé à garder l'esprit à ce qu'on faisait, à éviter qu'on parte dans tous les sens. Il a aussi de très bonnes oreilles. On a vraiment passé un très bon moment.

Troy - C'est le meilleur album qu'on ait jamais fait.

- Vous avez essayé des effets un peu spéciaux sur cet album comme la voix grave. Pourquoi ?

Troy - En fait, j'ai juste ralenti la bande (il imite le son grave et lancinant), c'était pas vraiment recherché. On veut quand même garder l'esprit basique, brut. Mais si ça sonne bien, où est le problème ?

- Si je comprends bien, vous essayez les boutons que vous avez sous la main ?

Troy - Oui, on va aller de plus en plus dans cette voie. Je pense que notre prochain album risque d'être plus bizarre, on va trouver de nouveaux boutons...

Jon - En fait, chaque heure nous trouvons de nouveaux boutons... (rires)

- Pouvez-vous expliquer le 13ème et dernier titre de l'album (The Rest of Your Evening) ?

Troy - C'est les paroles complètes de l'album... en suédois. On a appelé une amie en Suède qui a une très belle voix et qui a lu le texte au téléphone.

Jon - C'est une jolie façon de finir l'album, une manière de dire : il faut dormir maintenant...

Troy - C'est comme avoir une gentille petite fille qui vous raconte des histoires au moment de s'endormir...

- Connaissez-vous des groupes français ?

Troy - On connaît Prohibition...

Jon - Dèche Dans Face...

Troy - Dèche Dans Face, un très bon groupe (rire des 2 lascars), Trivia de Paris, on a aussi beaucoup entendu parler de Sloy mais on ne les a jamais vu... [mais qu'ils verront le soir même, NDA]. On en connaît plein d'autres, les Burning Heads...

- Vous avez des projets, bien sûr.

Jon - Ecrire, écrire plus de musique, de nouvelles chansons. On en a commencées plein avant la tournée, il faut qu'on les finisse...

Troy - On a plein d'idées... Maintenant, on a de la chance, c'est de plus en plus facile, parce que plus on connaît notre musique, plus on en est proche, plus c'est simple de composer. On sait exactement ce qu'on veut et plus vite qu'avant.

- Vous avez encore des choses à dire ?

Jon+Troy - Oh oui, bien sûr !!! On ne fait que commencer. On va faire une centaine d'albums, un par an à partir de maintenant pendant 100 ans. (larges sourires...)

Et pour ce qui est des concerts, ils viennent assez régulièrement dans notre belle et libre contrée pour que vous puissiez les voir à votre aise. Il serait bête de perdre une occasion de voir un vrai concert *...

* Toute référence à ce qu'on appelle les boys bands n'est absolument pas fortuite voire plutôt encouragée...

F.L.
Sabotage
octobre 1997