Hawaï/L.A./Paris/La-Chaux-de-Fonds, aller simple pour une rencontre sur terrain neutre. Enfermez dans une même pièce Chokebore et Prohibition, deux groupes séparés à l'origine par vingt mille bornes, et il en sort soudain un freestyle aussi spontané que leur discographie respective...

Entre couscous et pizza, l'ambiance est à la bonne humeur ce soir à La Chaux-de-Fonds, petit village situé dans une vallée suisse à deux-cent kilomètres de Bâle. Mais le Bikini Test, salle tendance trash-arty, vaut le détour. Prohibition est déjà sur scène pour la balance. Backstage, au sous-sol, Troy, chanteur de Chokebore arborant désormais la barbe (rousse), raconte son besoin viscéral d'écrire (incontrôlable, comme des montées d'adrénaline) et l'isolement qu'il nécessite lors des tournées. Des tournées qui occupent désormais les trois quarts de leur temps. Les inséparables frères Kroll, sortes de Dupont/Gallagher version hawaïenne, s'enfilent des bières dans les fauteuils. Le nouveau batteur s'appelle Mike, remplaçant de Christian - resté à Los Angeles pour s'occuper de son groupe Trillion Stars. Manque plus que les Prohib, soit Fabrice et Nico les deux frangins - encore-, respectivement à la basse et au chant, Ludo (batterie) et Quentin (sax). Avec un peu de patience, les énergumènes finissent par se rassembler autour du magnéto pour interview (en anglais pour tout le monde). Flashback. Les deux bassistes (James et Fabrice) se rencontrent dans un studio d'enregistrement à Paris, partagent les mêmes plateaux sur quelques dates et deviennent potes par la force des choses. A part le même tourneur, que peuvent partager deux groupes nés exactement à 20.000 bornes l'un de l'autre ? Nicolas et Fabrice ont vécu aux Etats-Unis mais dédient "Towncrier", leur dernier album, à la capitale française. "En fait, on a enregistré un album tout en anglais sur Paris, avec un Allemand à la console ! On parle de ce qu'on connaît le mieux, c'est-à-dire l'endroit où l'on vit, celui qu'on ne voit plus forcément de la même façon au quotidien. En particulier après une tournée, tu vois les choses différemment, tu redécouvres..." A force d'y tourner, Chokebore commence à bien connaître notre pays. Leurs albums s'inspirent d'ailleurs plus des voyages que de leur île natale ou de Los Angeles, où ils vivent quelques mois par an. Jon : "C'est marrant parce que si on ne vivait pas à L.A., on y serait plus populaires. Ce n'est plus aussi excitant qu'avant. Quand on fait un concert, ils disent : 'Ah oui ! Ce sont les mecs qui habitent au coin de la rue.'" L'an dernier, les deux groupes se retrouvent à enregistrer leur album "pratiquement en même temps" à Angers au studio Black Box. Eh, Chokebore, à quand une chanson en français ? "Même après quatre ans de pratique de votre langue, je ne saurais dire qu'une seule chose : 'Où avez-vous acheté votre chapeau ?'", estime James. N'empêche que Troy cherche lui à prendre des cours de français... En regardant le parcours du mutant "Prohibore", on trouve le même engouement à construire une carrière "faite main". "Si tu regardes bien les groupes qui restent, ce sont ceux qui ont institué un véritable état d'esprit, ceux qui ont construit des trucs petit à petit. Le problème, depuis le début des 90's, est qu'on jette de plus en plus vite", dit Fabrice. Génération anti-MTV et zapping, tous deux savent que le travail de fourmi paie, tôt ou tard. Jon : "Underground ? Tu veux dire sous terre (rires) ? Prohib, vous avez votre propre label, n'est-ce pas ? Nous, on a fait imprimer notre premier single en autoprod' à cinq cent exemplaires et il nous reste des cartons d'invendus à la maison. AmRep nous a appelé, nous promettant d'en imprimer trois fois plus... Et ils sont toujours à la maison ! J'ai déménagé juste avant de partir en tournée et j'en ai profité pour en laisser des cartons dans les magasins. Mais on attend de pouvoir les vendre comme collectors..." Plus tard, sur scène, concentré sur leurs instruments, acharnés sur leurs morceaux, ils feront frémir une salle hélas pas assez remplie, définitivement sur la même longueur d'onde.

Katia Kulawick
Rock Sound #46
avril 1997