Plus personne ne l'ignore, les Chokebore sont nés à Hawaï. Malgré les apparences, le rock a là-bas sa place. Avec eux, il acquiert ses lettres de noblesse. Et même s'ils viennent d'investir les côtes californiennes, le quatuor a le bon goût de se détourner de l'ordinaire. Comme le démontre ce troisième album, l'épatant "A Taste for Bitters".

"L'important, c'était de partir" répète Troy d'une petite voix. Groupés en cercle autour du chanteur dans le studio photo, le groupe avise sec. Manque plus que Christian, le batteur, fan total de percussions - instrument principal de son groupe parallèle -, parti visiter une cathédrale, celle de Clermont-Ferrand. Partir, bouger, un thème récurrent chez les hawaïens. James (basse) jette un coup d'oeil complice à son frangin guitariste (Jon) : "Notre but était de rencontrer de nouvelles personnes, de se retrouver ailleurs qu'au milieu de l'océan, de grandir. Hawaï, c'était l'isolement, même au niveau des groupes, on ne connaissait rien." Ce sentiment d'oppression et d'abandon - l'envers du décor de ces îles paradisiaques, en quelque sorte -, c'est ce qui les a réellement fait partir. Troy Von Balthazar continue. "Ouais, on voulait commencer carrément une nouvelle vie, ou vivre quelque chose qui nous ferait évoluer, grandir... C'est, effectivement, ce qui s'est passé à notre niveau personnel et au niveau de notre musique. Quand on s'est installé à Los Angeles, subitement, tout est devenu très dur. On a tourné pendant des années pour en arriver là. Mais, il n'y a rien de plus formateur..." Nos bronzés tournent tellement qu'ils ne trouvent même plus l'envie de rentrer chez eux. Ils viennent de découvrir l'Europe, et comptent bien y passer de plus en plus de temps. Ca tombe bien puisque leur côte y grimpe de façon vertigineuse. L'enregistrement aura lieu au Black Box près d'Angers, et oui le QG européen de Steve Albini. Aussi exotique, après tout ! "On connaissait des gens qui y ont enregistré, et c'était plus pratique pour nous, vu qu'on passe tout notre temps ici... Chaque album a été enregistré dans une ville différente, ça rend les expériences plus enrichissantes" explique le chanteur. Le clip du prochain single, "A Taste for Bitters", sera tourné à Hambourg, mais cette fois, ce n'est pas un choix délibéré. "On tournera à Hambourg parce que notre label européen (SPV - ndr) a son siège là-bas. Il se trouve qu'on y sera en tournée. Cela dit, on n'aime pas l'Allemagne, ni ce mot : "Tchuss". (Ils imitent l'accent en chœur)." Quant au scénario, les choses ne semblent pas encore très claires..."On a imaginé faire un remake de série Z : on portera des masques, moi je serai James et je tuerai Troy, tandis que James, pas tout à fait mort, croira me tuer alors qu'il exécutera Troy, à moins qu'on ne fasse le contraire. Enfin, tu vois le concept..." Le trio continue son pseudo-scénario dans la rue, avant de rejoindre le resto, tout en imitant les bruits de mitrailletttes. "En fait, on aimerait bien faire des musiques de films" commente James, coupé aussitôt par son frère. "Sauf qu'on a pas de scénario, et quand on en a, ils ne sont pas bons." Et s'éloigner de la musique, ils y pensent, vraiment ? James répond : "Avoir d'autres approches de la musique, oui, c'est quelque chose qui nous intéresse. On a aussi pensé à sortir moins de disques et plus de singles". "Quand je serais un homme un de ces jours, dans dix ans... ironise Troy, j'aimerais bien sortir mes propres bouquins, mais c'est un projet à long terme, je prends mon temps. Je ne veux pas avoir de vie régulière. C'est tout ce dont je parle dans l'album, regarder la vie sous un autre angle, se détourner de l'ordinaire, rendre les choses plus intenses. Quand tu marches dans la rue, tu ne fais pas que marcher, il y a un tas de choses qui se passent dans ta tête..." Il essaie de se rappeler les paroles de "Pacific Sleep Patterns" et chantonne. "Euh... the end of rain... euh, nothing remains..." James reprend. "Si quelqu'un m'avait dit que je ferais tout ça un jour, que j'irais au bout du monde, je ne les aurais jamais cru". Troy a fini sa chanson. "Je suis tout à fait d'accord avec toi", répond-il à son voisin, et c'est une raison de plus pour croire que tout est possible."

Katia Kulawick
Rock Sound #39
octobre 1996