Si un savant fou fabriquait le parfait groupe grunge, il obtiendrait sans doute Chokebore. Tout y est, exaltation, dégoût et anecdote sur Kurt Cobain en prime.

La génération grunge annonce son retour : Chokebore publie son cinquième album, "It's a Miracle". Sur un ton noisy et exalté, les quatre jeunes trentenaires hawaïens exilés à Los Angeles susurrent une pop dramatique et aigre douce. Il y a les frères Frank et John (basse et guitare), le batteur Christian et le chanteur Balthazar. C'est ce dernier, âme tourmentée et verbe agité, qui prend la parole.

On nous compare souvent à Nirvana

Balthazar : Je ne comprends toujours pas comment nous pouvons être ensemble. Nous n'avons rien en commun, ce que je pense est l'exact opposé de ce que pensent les autres. Pourtant, question musique, cela fonctionne à merveille. Quand j'ai rencontré John et Frank, je les ai détestés. Ils faisaient un concert, moi je débutais à peine la guitare. Je suis allé les questionner, ils m'ont envoyé paître comme un débile. Et voilà, nous avons passé ces quatorze dernières années ensemble. Presque cinq ans se sont écoulés depuis notre dernier album "Black Black". Nous avons beaucoup tourné, pris du temps chacun de notre côté, Frank a peint, John voyagé, Christian fumé des joints et moi participé à d'autres projets, comme l'album solo de Melissa Auf Der Maur (bassiste, ex-Hole et Smashing Pumpkins). Et au final, nous revoilà avec nos airs tristes, joyeux ou colériques. Le morceau "Snow" parle de ma haine envers les Etats-Unis. Je vais quitter ce pays, si tu connais quelqu'un qui cherche un colloc' à Paris... Putain, je déteste les USA, c'est quand même la patrie du MacDo, de Loft Story, toutes ces merdes qui envahissent le monde. Au départ, "Snow" parlait de la destruction de Los Angeles, les immeubles s'effondraient comme de la neige, des quantités de gens mouraient et moi je m'endormais heureux. Mais à cause du 11 Septembre, j'ai retiré ces mots. J'ai eu peur aussi, je vais vous sembler parano mais, être radicalement engagé aux USA, c'est risquer les ennuis. Les USA se disent le pays de la liberté mais c'est inexact : on n'est libre là-bas que si on ne sort pas d'une pensée libérale et d'un nationalisme exacerbé. Les idées divergentes ne sont plus acceptées et ce morceau, c'est l'envie de voir cette putain de majorité exploser. En général, je me fous de savoir si ma musique détruit ma vie, je m'en fous si les gens me détestent, l'important est que les chansons plaisent... Sur "Geneva", je dis : I'm not alone when I'm without you, cela s'adresse à ma petite amie que j'ai trompée (sourire gêné). C'est pas cool pour elle, j'aurais pas dû écrire ça, mais c'est une belle chanson, non ? Souvent on nous compare à Nirvana, sûrement parce qu'on a fait les premières parties de leurs dernières dates américaines (début janvier 1994, trois mois avant le suicide de Kurt - NdA). Nous n'avions pas beaucoup de contacts mais, un soir, Kurt m'a abordé : "Pourquoi ne viens-tu jamais dans ma loge ?" Moi, intimidé : "Je ne veux pas te déranger." Lui, me fixant du regard, intense : "Tu devrais (hésitation), je me sens vraiment seul." Il avait l'air si triste. J'ai cru qu'il allait pleurer. Il y a eu un silence. Je ne savais pas quoi répondre. Subitement, des dizaines de gamins ont fait irruption backstage : "Kurt ! Kurt !" Ils m'ont éjecté contre le mur et l'ont entouré, fous, hystériques. Lui n'a rien dit, c'était comme s'il ne les voyait pas, il me regardait toujours droit dans les yeux. C'était une scène effrayante. Après ça, je ne l'ai presque pas revu.

Damien Almira
Rock & Folk #419
juillet 2002