Après quatre ans d'absence et autant d'inquiétude, Chokebore revient avec 'It's a Miracle', un cinquième album qui prolonge ce que le groupe a toujours su faire de mieux : mêler intensité, profondeur et tristesse en des chansons toujours aussi captivantes et poignantes. Prolongement logique de 'Black Black', il voit notamment la formation de Los Angeles s'ouvrir par instants à des sonorités plus poppy. Rencontre avec ce groupe au potentiel énorme et à l'émotivité débordante. Personnages attachants, légèrement en retrait, ils nous (re)confient leur malaise vécu à Los Angeles, la ville où ils résident pourtant depuis plus de dix ans.

Le titre de ce nouvel album, 'It's a Miracle', interpelle. Quelle en est la signification ? C'est un miracle d'être toujours là, après quatre ans d'absence ?

James Kroll (bassiste) : Non ! (très catégorique) Je ne sais pas pourquoi, mais tout le monde nous a posé cette question. Non, nous n'avons pas splitté. Si à un moment donné, j'ai voulu quitter le groupe, cela n'a été que passager, et surtout, je n'en avais parlé à personne. Pas que j'étais mécontent du groupe ou que je ne m'y sentais plus bien, c'était juste passager.

Jonathan Kroll (guitariste) : Je commence à croire que c'est un miracle que nous n'ayons pas de réponses à cette question.

Troy : Non, cela veut dire que c'est un miracle de faire de la musique, de pouvoir réaliser un album. Tu sais, la musique c'est la meilleure chose dans nos vies, et faire de la musique et pouvoir voyager dans le monde, ça, c'est vraiment un miracle pour nous.

Pourquoi dès lors ce long silence depuis 'Black Black' ?

Jonathan : Nous sommes plus vieux, on n'écrit plus aussi vite...

Troy : Ce n'était pas voulu, pas du tout. Le temps a passé et, petit à petit, les quatre années se sont écoulées. On a fait beaucoup de tournées. Nous sommes allés au Japon, nous avons fait une longue tournée en Europe et aux Etats-Unis, et on avait aussi besoin de faire un petit break, de se retrouver un peu chez nous... tout en écrivant des chansons.

Jonathan : Oui, on n'a pas eu l'impression que c'était aussi long.

Où cet album a-t-il été produit ? Avez-vous encore travaillé avec Peter Deimel ?

Troy : Non car on voulait que cet album sonne différemment, c'est pour cela que nous n'avons plus travaillé avec Peter Deimel et que nous avons enregistré l'album à Los Angeles, pas au Black box, qui est pourtant un très bon studio. Et je crois qu'au final, cet album sonne en effet différemment.

Oui, au niveau de la production, j'ai eu l'impression qu'elle était plus polie que d'habitude...

Troy : Waouw ! Ca fait plaisir à entendre.

James : Pourtant le studio où nous avons travaillé est beaucoup plus petit, plus primitif que le Black Box. Il n'y a qu'une seule pièce. Ce n'était pas un studio très agréable point de vue confort, mais apparemment, au final, le résultat est là. Je ne sais pas si polir est un bon mot, mais tant mieux qu'il soit perçu de la sorte.

Troy : Il est difficile pour nous de se prononcer, car quand je l'écoute, j'ai les souvenirs du studio qui me viennent en tête. J'espère simplement que les gens l'aimeront.

Il y a des chansons qui sonnent un peu plus 'pop'...

Troy : Oh ! Cool, cool. Ce n'était pas intentionnel, mais si tu as l'impression que c'est plus pop, c'est chouette, c'est que cela doit bien donner. Je ne peux pas te donner d'explications, car nous ne réfléchissons pas aux choses, tout nous vient naturellement. Chokebore est un groupe assez simple, on fait la musique naturellement : on écrit une chanson, et si nous l'aimons, on l'enregistre.

James : Pour l'écriture, on n'a pas de recette. Parfois Troy arrive avec une chanson presque terminée et nous ne faisons qu'ajouter quelques parties et détails, parfois tout vient en commun, en répétition.

Vous êtes venus au Magasin 4 l'an passé. Une tournée un peu éclair... Quelle en était la motivation ?

Troy : On venait de réaliser un E.P. appelé 'Strange Lines', et nous avons fait une tournée pour le promouvoir. Et aussi pour voir si nous existions toujours pour les Européens ! Mais c'était une chouette tournée, il y a eu du monde. Et puis je me souviens que j'ai bu de la Chimay Bleu. C'était vraiment bon ! J'en ai bu beaucoup, mais après le concert... Quand je suis rentré à Los Angeles, une des premières choses que j'ai faite, c'est essayer d'en trouver, car elle me plaît vraiment.

Vous vivez de votre musique ?

James : A certaines périodes, oui. Mais nous devons aussi travailler... Ce ne sont pas souvent de bons boulots car notre principale activité reste la musique et nous sommes souvent partis. Donc on ne trouve pas, et on ne cherche pas à trouver un emploi stable. Mais ce n'est pas un problème, et pour moi, c'est important de travailler. Pour mon équilibre.

Pendant ce concert, Troy, tu as souvent répété « L.A. sucks... »

Troy : Oui ? C'est que je le pense vraiment ! Il y a de bons côtés dans cette ville, mais j'en viens à ne voir que les mauvais. Et j'en vois de plus en plus. A cette période, celle du concert dont tu parles, je m'y sentais vraiment mal. Je n'y avais plus de fun. Maintenant, je dois dire que ça va un peu mieux. Mais pendant tant d'années, je m'y suis vraiment senti mal. J'aimerais pouvoir vivre en Europe, au Danemark. J'aimerais pouvoir essayer d'y vivre six mois, et voir si je peux y rester plus longtemps. Je ne sais pas pourquoi le Danemark, mais ce pays m'attire.

Los Angeles, c'est une obsession ? Cette ville revient souvent dans les paroles...

Troy : Oui. Disons qu'elle m'inspire. Parce que je la vis tous les jours. Et tu sais, c'est intéressant de vivre dans une ville que tu détestes royalement... Une ville pour qui j'ai tant de mauvais ressetiments. C'est vrai qu'elle revient souvent dans les paroles, parce qu'elle intervient pour beaucoup dans ma vie.

Mais qu'est-ce que tu reproches réellement à cette ville ?

Troy : Les gens. Ils sont si froids. C'est si dur d'entrer en contact avec eux, de rencontrer des gens. Je ne crois pas qu'ils désirent être comme cela, c'est juste la culture de là-bas. Mais au bout d'un moment, tu finis par te dire que c'est comme ça, que c'est OK. Ce n'est pas parce qu'ils sont froids que nous devons aussi être froids.

L'attitude des gens doit être très différente de celle des gens d'Hawaï ?

Troy : Oh oui, il y a un monde de différences. Là-bas, les gens ont l'air plus heureux. Tu dis 'bonjour' dans la rue à quelqu'un que tu ne connais pas forcément, il te répondra immédiatement. Pas à Los Angeles, ils pensent que tu veux les attaquer... A L.A., les gens sont très fermés. Récemment il y a eu un sondage aux Etats-Unis pour savoir quelle était la ville la moins amicale. Qui était premier ? L.A. ! C'est dans l'atmosphère. C'est comme si les gens n'étaient pas heureux d'y vivre.

Cet album ne respire toujours pas la joie de vivre. Quel est votre rapport à la tristesse ?

Troy : Pour nous elle est puissante. Elle doit être un peu en nous, car je te l'ai dit, nous ne réfléchissons pas à la musique que nous faisons. Elle est comme cela parce qu'elle sort de cette façon. Ce n'est pas conscient, nous ne cherchons pas à faire des albums tristes.

Jonathan : Je crois que la musique, par définition, se prête bien aux sentiments de tristesse. Mais tous nos albums sont différents, en fonction de ce qu'étaient nos émotions et sentiments à ces différents moments de notre vie.

Vous existez depuis dix ans. Vous pensez continuer encore longtemps ?

Troy : Si on a su tenir ensemble aussi longtemps, cela veut dire que nous sommes bien soudés et que nous pourrons exister encore longtemps.

Jonathan : Quand on a commencé, on n'imaginait pas du tout avoir une telle existence. Je crois, comme Troy, que nous sommes très soudés, sinon, comme beaucoup d'autres groupes, nous aurions splitté.

James (intervient, énervé) : Mais on n'a jamais parlé de splitter, have we ?

Jonathan : Ce n'est pas ce que je veux dire. C'est que beaucoup de groupes ne sont pas capables, comme nous, de coexister physiquement aussi longtemps.

On a l'impression qu'être sur scène est facile pour vous.

James : Cela peut aussi être inconfortable. Tu n'as pas tous les jours envie, parfois tu n'es pas bien, pas en forme. Mais voir des gens qui sont là pour nous me motive toujours. Même si je ne suis pas bien, je ne me dis jamais : vivement dans deux heures que tout soit fini ! Au contraire, je suis toujours prêt à jouer.

Jonathan : Pour nous c'est important, et c'est quelque chose qu'on a toujours aimé.

Troy : Tu sais, c'est grand de pouvoir jouer. Moi, je me perds, je m'évade en jouant de la musique. On a beaucoup joué, donc on ne doit plus y penser, et tout se fait au feeling. Et tu oublies tout. C'est un sentiment puissant. Et si je ne suis pas bien avant le concert, je me sens toujours mieux après.

Ce qui revient sans cesse chez vous, c'est que Chokebore est naturel, que tout y vient spontanément...

Troy : Oui. Sans doute parce que la musique est humaine.

Julien Gillebert
Rifraf #80
mai 2002