Chokebore, le seul groupe noise d'Honolulu, bien que maintenant basé à Los Angeles, n'a pas été avare de ses prestations européennes cette année. Pour un peu, on aurait d'ailleurs pu croire le groupe installé en Belgique tant ses prestations y furent fréquentes. Lille ne fut pas en reste puisqu'en mars dernier le groupe y est revenu pour la troisième fois, pour un concert grandiose au Bunker. Cet été Chokebore a participé à pas mal de festival sans oublier de faire un petit détour par la Belgique à l'occasion du Dour Music Festival. C'est durant celui-ci que nous avons rencontré Jon, l'immense guitariste aux cheveux grisonnants du groupe. L'interview s'est déroulé entre deux apparitions scéniques, la première furieuse et électrique comme Chokebore en a l'habitude, la seconde beaucoup plus surprenante et confidentielle, puisqu'il s'agissait d'une session acoustique de Troy, le guitariste chanteur, et Jon, qui garde manifestement un bon souvenir de son passage au Bunker, me demandant d'en saluer l'équipe dès qu'il apprit que je venais de Lille.

Tout à l'heure sur scène Troy a déclaré que toutes vos chansons étaient des chansons d'amour. Est-ce que vous vous considérez comme des crooners ?

Jon : (il rit) Peut-être cela pourrait être un nom sympa pour nous, bien que je pense que la plupart des gens n'aiment pas cette idée de crooner mais pourquoi pas ?

En concert, vous donnez toujours l'impression de souffrir, votre musique vous sert-elle d'exutoire ?

Jon : Notre musique doit effectivement être un exutoire. Je ne pense pas que nous soyons tristes sur scène, ce sont plutôt des sensations très puissantes qui nous animent. Monter sur une scène cela reste quelque chose d'étrange à faire, te montrer, jouer ta musique devant des gens, à chaque fois c'est une expérience unique.

La plupart de vos titres sont très sombre pourtant vous ne semblez pas être pessimistes, comment expliquez-vous cette orientation ?

Jon : Une musique sombre des chansons tristes c'est ce qui nous vient le plus naturellement, ce que l'on ressent le plus. Je ne crois pas beaucoup aux chansons joyeuses (« happy songs »), je ne pense pas que quiconque soit très heureux en ce moment. Et puis c'est plus intense de jouer des morceaux tristes ou sombres que de jouer des trucs joyeux.

Même si vos morceaux sont tristes, votre démarche reste positive ?

Jon : Oui, nous ne sommes pas des personnes négatives, nous aimons vraiment la vie même si comme chacun on déprime de temps en temps. En fait quand on compose, l'aspect mélancolique de notre musique apparaît presque naturellement. Il faut dire que lorsque l'on est heureux, on s'occupe plus de prendre du bon temps que de jouer de la guitare !

Nous sommes en juillet, nous vous avons vu en mars à Lille, êtes vous retourné aux Etats-Unis depuis ?

Jon : Oui, on est retourné à la maison pendant six semaines, pour se reposer un peu. A la fin du mois retour chez nous à nouveau pour six semaines, puis on repart une nouvelle fois en tournée.

Vous tournez beaucoup en Europe, est-ce si différent des Etats-Unis ?

Jon : Oui, je pense : je ne sais pas ce que c'est de grandir en Europe mais par rapport aux Etats-Unis ce qui est bien, ici, ce sont toutes ces cultures différentes, si proche géographiquement les unes des autres. Aux Etats-Unis tout est tellement similaire ou que tu sois, il y a des différences mais beaucoup moins importantes. Ici c'est tellement agréable de pouvoir en un jour traverser plusieurs pays, entendre différentes langues. Aux Etats-Unis tu peux voyager plusieurs jours et voir toujours la même chose, c'est un peu déprimant à force.

C'est la deuxième fois que vous jouez ici et à chaque fois dans le chapiteau. Tout à l'heure Troy a dit sur scène que vous viendriez tous les ans jusqu'à ce qu'on vous laisse jouer sur la scène principale. Avez-vous l'impression de manquer de reconnaissance ou de ne pas être apprécié à votre juste valeur ?

Jon : Je ne sais pas, je pense que l'on est un peu bizarre quelque part et c'est déjà bien qu'il y ait des gens pour nous apprécier autant (il rit)

Sans doute mais beaucoup de gens pense que sur un gros label, Chokebore pourrait avoir un impact comparable à celui qu'a eu Nirvana. Qu'en pensez-vous ?

Jon : C'est gentil à entendre déjà ! C'est difficile maintenant, cela dépend de combien le label peut mettre pour toi, pour ta promo. Mais je n'ai aucune idée de ce qui arriverait si nous étions sur un gros label. Mais aujourd'hui nous possédons quelque chose de très important, la liberté ! La liberté de faire les choses comme on le veut. La seule chose dont on veut avoir à s'occuper c'est de sortir de bons disques. Le seul côté frustrant d'un label indépendant c'est qu'il est parfois difficile de trouver le disque dans certains pays.

C'est la deuxième fois que vous jouez ici, appréciez-vous le fait de jouer en festival ?

Jon : C'est intéressant, c'est tellement différent d'un concert en club. Je trouve plus naturel de jouer dans des clubs, mais c'est amusant aussi de jouer ici, c'est une énergie différente. Parfois c'est marrant de se retrouver dans un endroit ou tout est énorme, à la limite du ridicule, avec des tonnes de groupes qui jouent partout et à la fin tu te rends compte que tu n'as rien vu, que t'as fait que de te balader et boire des bières ! C'est un trip qui peut être cool de temps en temps. Mais bon je préfère jouer en club.

Guillaume Lefebvre et Caroline Scrive
Presto !
10 juillet 1998