Troy Story

Eté 74. Iggy Pop se présente à un centre neuro-psychiatrique pour se faire interner, David Bowie sera le seul à lui rendre visite. Deux ans plus tard ils partiront ensemble à Berlin pour une cure explosive à base de cocaïne et de saucisse. The summer of Bratwurst.
A l'instar d'Iggy, le chanteur-guitariste de Chokebore Troy Bruno Von Balthazar nous lance « I'm fuckin' ill » avec un regard de murène sous amphètes, puis nous parle de la longue liste de médicaments qu'on lui a prescrit. James Kroll le géant à la basse est une vraie fontaine à sueurs froides, on n'avait pas vu de bassiste aussi grand depuis Krist Novoselic, il martèle de tout son corps les rythmes du batteur Christian Omar Madrigal Izzo qui se cache sous son bonnet péruvien. Le t-shirt « i'm in no shape to exercise » du discret guitariste Jonathan K. confirme qu'ils ne sont pas venus pour nous parler de la fabrication du hukulélé hawaïen ou de la soupe d'ailerons de requin de leur grand-mère. Put some punk in my vitamins. Ils prêchent un mode de vie à l'opposé du régime sec straight edge initié par Minor Threat il y a vingt ans avec leurs trois commandements « don't smoke, don't drink, don't fuck ».
Troy sort une setlist chiffonnée de sa poche, il dit ne pas connaître les titres des morceaux, juste quelques mélodies. Et il les connaît bien, ne faiblit pas un instant, brave ses démons hallucinés en tourbillonnant avec sa Telecaster, explose son micro en tirant dessus - sonic death - et se moque du concert reggae dans la salle à côté. Les morceaux tirés de leurs cinq albums couvrent dix années de surf-core made in Honolulu, de la bombe à eau pétillante Lemonade à la love song cabossée Valentine en passant par un vieux morceaux « when we were heavy » nous dit Troy. Quand ils étaient heavy et qu'ils ouvraient pour Nirvana et les Butthole Surfers fin 93-début 94. Troy, vraiment bavard ce soir, se souvient de la course effrénée après leurs sacs qu'on leur avait piqués, quelques heures avant leur tout premier concert en France ici même en 1995.
Quelques morceaux plus longs et posés gagnent en texture et célèbrent la lenteur, on est plus proche du slow-core clair-obscur de Low que du delirium tremens de Jesus Lizard et des accords biscornus appris à l'école new-yorkaise de la jeunesse sonique. Leur état d'esprit est proche de celui des Queens Of The Stone Age, disons « Johnny Thunders va à la plage », avec un look propret entre Chris Isaak (pour les chemises et le surf) et Morrissey (pour la mèche, perdue en haute mer pour Troy, ses cheveux sont coupés courts et porte une fine moustache et un bouc !), et fait de Chokebore le groupe de punk-rock le plus sombre et palpitant depuis Nirvana. La messe est dite depuis 1977 par les Stooges : « Search & desTROY ».

Nicolas Weibel