Sans cette première tournée du label Amphetamine Reptile, l'incroyable "Clusterfuck Tour", on aurait peut-être mis du temps à découvrir Chokebore...

Encore que le label par lui-même, un des plus excitants des Etats-Unis, mérite qu'on jette une oreille sur chacune de ses nouvelles sorties. C'est quand même le premier label d'Helmet et Boss Hog, qui depuis, sont partis sur des majors. Mais il aura fallu attendre cette tournée-là pour découvrir une raison de plus d'adorer le label et pour comprendre pourquoi Tom Hazelmyer, le boss, ne signait jamais un groupe avant de l'avoir vu live. Encore que dans le cas Chokebore, la légende veut qu'ayant écouté une cassette démo, il les ait immédiatement appelé en leur enjoignant de ne répondre à aucun autre label avant qu'il ne les ait vu sur scène. Et on comprend qu'il ait été définitivement conquis. Après avoir assisté au concert des trois du Clusterfuck (Chokebore, Guzzard et Today Is The Day) et plus tard les Cows, Hammerhead, Janitor Joe, Helios Creed, tout devient une évidence : les groupes AmRep sont toujours d'authentiques bargeots ! Et Chokebore ne fait pas exception à la règle. Originaires de Hawaï mais installés en Californie, ils ont sorti deux albums et un picture-single sur AmRep, et figurent sur plusieurs compilations du label ainsi que sur le "Dope Guns & Fuckin' in the Streets volume 9".

Contrairement à Today Is The Day, par exemple, les disques laissent peu présager d'une telle folie (encore que, en écoutant entre les sillons...). Ce qui marque au premier abord, c'est la voix de Troy, totalement unique, plutôt haut perchée, mais avec des accents très bizarres, et très belle. Musicalement ça reste un tantinet plus classique dans la famille grunge-punk-rock-noise-pop, frappe sèche et speed, dérapages de guitares, mélodies entêtantes, mais les compos sont vraiment excellentes et recèlent ce petit quelque chose de dissonant et malsain qui fait immanquablement dresser l'oreille. Et c'est surtout d'un bout à l'autre gorgé d'émotion et de passion, toujours sur le fil du rasoir. Le premier album, "Motionless" plus brut que le second, où tous les titres sont excellents, comptait déjà quelques perles comme "Never" ou "Coat". Le second, "Anything Near Water", plus travaillé, plus cool, mid-tempo contient une kyrielle de morceaux vraiment très beaux et atteint des sommets avec "Cleaner" (qui n'a rien à voir avec le morceau éponyme très bruitiste du premier album). Et puis il y a les textes, étranges, tristes, obscurs. Mais sur scène, il n'y a pas seulement la voix de Troy, il y a lui en chair et en os. Et là c'est vraiment quelque chose. Possédé. Aussi souvent la tête en bas que sur ses deux pieds, la tête dans la grosse caisse, se contorsionnant dans tous les sens, le regard noir et halluciné. Une véritable furie. Et sans rien perdre de sa voix sublime. Sans oublier le groupe, encore plus acéré que sur disque. De quoi rester sans voix et complètement sous le charme. Bref juste le genre de groupe qu'on aimerait voir tous les soirs. Et ça tombe bien, ils seront en tournée en France en Octobre et ça vaudra plus que le détour.

Janique
Abus Dangereux face 43
octobre–novembre 1995